Dans cette rubrique, un(e) adhérent(e) de l’AOPA partage avec nous une expérience marquante et les enseignements particuliers qu’il/elle en a tirés.
Trois fois championne des USA de voltige, et multi médaillée à l’international, Patty Wagstaff, 11.000 heures de vol, affiche un impressionnant CV aéronautique : CPL IR SEP Avion (Terrestre et Hydro) et MEP, IRI, CPL Hélicoptère…
Elle est aussi titulaire de plusieurs QT – tant piston que réacteur – notamment sur P51 Mustang et L39 Albatros.
Le 11 septembre dernier, sur son terrain habituel, au retour d’un vol banal sur son Bonanza personnel, le N5300E, l’avion est violement sorti de la piste de façon totalement inattendue.
Adhérente de longue date de l’AOPA, Patty a bien voulu nous raconter ce qui s’est passé et les enseignements qu’elle en a tirés :
« Juste après l’atterrissage sur la 13 dure, à une vitesse de 40 à 50 KT, plein réduit, je n’avais pas encore rentré les volets ni commencé à freiner, tout se déroulait normalement quand, tout d’un coup, l’avion a brutalement viré sur la droite.
J’ai essayé de le rattraper en freinant à gauche, mais c’était impossible.
Il est sorti latéralement dans l’herbe, on a heurté un petit talus et l’avion a basculé par l’avant pour s’immobiliser à l’envers, posé sur l’habitacle, dans l’herbe, les roues en l’air. »
« Ça a été extrêmement rapide, juste le temps d’un bref déni : non, ce n’est pas possible. Quand l’avion commence à basculer, vous n’avez le temps de rien faire, à peine de vous cramponner. »
« J’ai demandé à Jeff, mon passager, comment il allait et je me souviens très bien lui avoir dit de ne pas se détacher brutalement, pour ne pas se blesser en retombant sur la tête. » L’habitacle était un peu écrasé. Le moteur avait calé de lui-même et je n’avais qu’une idée en tête : sors de là, sors de là.
J’ai des amis qui étaient restés prisonniers d’une épave en feu et cette idée me terrifiait.
Il n’y a pas de porte à gauche sur le Bonanza, j’ai donc demandé à Jeff d’ouvrir l’unique porte, de son côté, mais il n’y est pas parvenu. »
« Il m’a alors dit de couper le master switch. Je dois préciser que je veille toujours à ne jamais rien laisser traîner dans mon avion.
Pourtant nous étions au milieu d’un désordre indescriptible, il y en avait absolument partout autour de nous : cartes, pilot cases, batteries, ordinateurs portables, lunettes de soleil, etc., des choses dont je ne savais même pas qu’elle étaient à bord, et mes références étaient tellement bouleversées que je n’arrivais plus à retrouver le master switch.
J’ai dû procéder par déductions successives pour parvenir à le localiser et tout éteindre. »
« Jeff a commencé à donner des coups de pieds dans la porte, je lui criais : sors-nous de là en vitesse. Mais l’habitacle était déformé, impossible d’ouvrir cette porte. »
« J’ai vu que l’issue de secours était accessible, Jeff a arraché la goupille et c’est finalement par là que nous sommes sortis. Quelques temps auparavant, nous avions voulu ouvrir cette fenêtre de secours pour pouvoir faire des photos en vol et nous avions eu beaucoup de mal à l’ouvrir : elle avait sans doute rarement été ouverte et elle était grippée. Nous l’avions donc démontée, réglée et lubrifiée à cette occasion, de sorte que le jour de l’accident elle s’est ouverte facilement. »
« La moindre pression sur un habitacle le déforme et peut empêcher son ouverture normale : je n’y avais jamais pensé jusqu’ici, mais maintenant je crois que tout le monde devrait avoir à bord un petit marteau brise vitre. »
« Je pense que si j’avais eu un extincteur à portée de main, à l’avant de l’avion, j’aurais été moins angoissée par la situation.
Dans ce cas il devrait bien sûr être solidement fixé pour ne pas finir dans la queue de l’appareil, parce que tout vole dans tous les sens dans ces moments-là, et dans des endroits que vous n’imagineriez pas : il a même fallu démonter le tableau de bord pour retrouver mon téléphone qui était allé se coincer derrière les instruments. »
« Lorsque j’ai appelé la tour plus tard, ils m’ont dit qu’ils avaient vu une fumée blanche s’échapper du train juste avant l’embardée.
Nous pensons que le frein droit s’est bloqué subitement, ce que semble confirmer l’escalope jusqu’à la corde retrouvée sur le pneu, mais pour l’instant nous ignorons ce qui s’est vraiment passé. Le NTSB a ouvert une enquête.
Jusque-là, lorsque j’entendais parfois parler du blocage spontané d’un frein qui aurait causé une sortie de piste, je n’y croyais pas : je pensais que cela ne pouvait pas arriver et qu’il s’agissait juste d’une excuse facile.
Maintenant je sais que cela peut arriver et que, quand ça arrive, cela va extrêmement vite. »
« Cet avion, qui datait de 1958, n’avait pas de ceinture trois points à l’origine. Elle a été rajoutée après coup mais elle était elle-même d’un vieux modèle, sans enrouleur : en vol, elle me gênait pour atteindre certaines parties du tableau et surtout pour changer de réservoir, donc je la mettais pour décoller mais j’avais pris l’habitude de la retirer ensuite en vol pour retrouver ma liberté de mouvement. Je me disais souvent que je ferais mieux de la remettre pour l’atterrissage mais très souvent je ne le faisais pas.
Ce jour-là, parce que c’était un vol d’à peine 40 minutes pour revenir de Titusville, je n’ai pas eu à changer de réservoir aussi avais-je exceptionnellement gardé ma ceinture trois points attachée. J’ai vraiment eu beaucoup de chance parce qu’elle m’a probablement sauvée de graves blessures. »
« Je n’avais jamais eu d’accident jusqu’ici et je ne pensais pas que ce genre d’accident puisse jamais m’arriver.
Voici ce qu’il m’a appris et que je voudrais partager avec tous les pilotes :
- Quand un accident arrive, c’est extrêmement rapide. Ce n’est pas quelque chose que vous voyez venir, ni quelque chose que vous pouvez contrôler.
- Agrafez absolument toujours votre ceinture trois points, au moins dans les phases de décollage et d’atterrissage si vous ne pouvez pas la garder en vol.
- Ayez un extincteur à bord à portée de main.
- Si vous avez une issue de secours dans votre avion, actionnez-la régulièrement, lubrifiez-la, assurez-vous qu’elle est en bon état et qu’elle fonctionne toujours parfaitement.
- Tout le monde devrait toujours emporter en vol un petit marteau brise vitre.
- Un dernier conseil, pensez à actualiser votre contrat d’assurance quand vous faites des frais pour améliorer votre avion : depuis l’achat de cet avion, nous y avions fait installer une super avionique, nous avions aussi changé l’hélice l’hiver précédent, bref nous y avions remis environ 50.000 $ mais nous avions négligé d’actualiser notre assurance. Tout est passé en pertes…. »
Patty Wagstaff n’a subi que des blessures superficielles ne nécessitant pas d’hospitalisation.
Son passager est indemne.
Le Bonanza N5300E a été déclaré irréparable.
Le NTSB, équivalent américain du « Bureau Enquêtes Analyses », a ouvert une enquête.
Transcription et traduction : Jean-Michel Tendil, AOPA France